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Extrait 1/3

Quand ils se garèrent devant la Mairie de Vandœuvre, à l’emplacement dévolu pour le Maire, Bonucci se rendit compte qu’il n’avait jamais mis les pieds dans ce bâtiment cerné par les barres HLM. Il n’eut pas le temps d’observer l’architecture épurée du hall d’entrée que Huard l’engagea à le suivre dans les escaliers.

— Mon bureau se trouve au premier étage, précisa-t-il. Mon invité nous y attend.

Intrigué, Bonucci se demanda s’il ne s’agissait pas de Tullipot. Il n’avait plus revu l’ancien procureur de Nancy depuis la conférence de presse qu’ils avaient donnée ensemble en février de l’année passée. Quand ils arrivèrent dans la pièce, Bonucci découvrit qu’il s’était trompé.

L’interlocuteur-mystère qui souhaitait le rencontrer était un homme massif, la cinquantaine fringante, sanglé dans un costume noir rayé et une chemise en soie satinée, de couleur rouge. Sa coupe en brosse rehaussait l’assurance débonnaire qui se dégageait de sa personne.

Déstabilisé, Bonucci scruta l’inconnu avec attention.

— Je vous présente le commissaire Dupéroux, engagea Huard, manifestement aux anges à l’idée d’initier le protocole. Il s’agit du responsable de l’antiterrorisme en région parisienne.

Le commissaire serra la main de Bonucci d’une poigne franche et chaleureuse, que l’on sentait habituée aux fréquents contacts. Bonucci était loin de se douter qu’il était en train de nouer connaissance avec celui qui avait monté l’assaut contre son appartement l’année dernière.

— Je ne vais pas tourner autour du pot 107 ans, intervint Dupéroux. Ce n’est pas par rapport à mes fonctions officielles que je cherche à vous rencontrer.

Pour une raison qui lui échappait, Bonucci ressentit une méfiance instinctive l’envahir.

— À ce que je sache, je ne trempe pas dans le terrorisme, marmonna-t-il.

— J’ai une autre casquette malgré mon emploi du temps surchargé, décrypta Dupéroux.

Il avala sa salive, pour ménager le suspense.

— Je m’occupe aussi d’implanter les candidats de la NUPES, dévoila-t-il avec une certaine affectation, pour bien marquer l’importance qu’il accordait à son rôle auxiliaire.

— Vous travaillez pour la NUPES ? s’étonna Bonucci, soufflé qu’un policier opérant dans l’antiterrorisme soit engagé au service de la gauche écolo-sociale, alors que d’habitude, on rangeait ce genre de personnage du côté de la droite dure.

— Le commissaire Dupéroux présente un long passé d’expert dans le domaine trop méconnu du conseil politique, clarifia Huard, pour dissiper la méfiance qu’il sentait poindre chez Bonucci. Pour vous donner un exemple qui me concerne au plus près, je lui dois mon élection à la mairie de Vandœuvre, en 2008, alors qu’au départ, elle n’était nullement acquise. Avant moi, la commune était solidement tenue par les radicaux de droite, sous la houlette de Françoise Nicolas.

— Les éclaircissements apportés par monsieur Huard me permettent d’opérer la transition avec le motif de notre entrevue, rebondit Dupéroux, le ton très appliqué, presque pointilleux. En effet, je gage que la proposition que nous entendons vous soumettre ne vous décevra pas.

Bonucci, émoustillé par l’allusion sibylline de Dupéroux, se risqua au jeu des hypothèses.

— Vous attendez de moi que je devienne un de vos conseillers municipaux ? hasarda-t-il.

Huard secoua la tête par la négative, pour laisser entendre à Bonucci qu’il n’y était pas.

— Au sein de la Gauche 54, nous nous retrouvons endeuillés par un terrible drame, lâcha-t-il, la voix accablée. François Nicollin, le député de la 2e circonscription, celle qui pour partie couvre Vandœuvre, s’est tué voilà deux semaines dans un accident de voiture. C’était un ami cher et un allié irremplaçable, vice-président de la Gauche 54. Sa suppléante est tellement bouleversée par la catastrophe qu’elle ne souhaite pas le remplacer.

— Je suis désolé, s’excusa Bonucci, qui ne comprenait toujours pas où Huard voulait en venir.

— Suivant la législation, des élections partielles doivent avoir lieu dans 3 mois, développa Huard. Vous êtes pour nous le candidat désigné pour vous présenter. Vous incarnez le militant de l’avenir, celui qui n’hésite pas à s’engager gratuitement pour l’avancement de ses idéaux. Il se trouve que, sur le plan de la justice sociale, ceux-ci concordent avec notre programme.

— Vous rendez-vous compte ? rebondit Dupéroux. Vous êtes susceptible de devenir le premier Gilet jaune à siéger à l’Assemblée nationale, ce qui vous donnerait auprès des médias en France une tribune de premier ordre.

Bonucci hocha de la tête gravement, de telle sorte que ses interlocuteurs le crurent convaincu par le projet qu’ils lui soumettaient. Pourtant, c’était l’inverse qui se produisait.

— Vous n’êtes pas sans savoir que les Gilets jaunes de la Porte Sud se réunissent tous les mercredis soir à la salle du Vélodrome, exposa-t-il à ses interlocuteurs, médusés par la digression dans laquelle il se lançait, alors qu’ils attendaient de lui une réponse immédiate.

— Et pour cause, ironisa Huard, puisque c’est moi qui vous ai attribué cette salle, dans l’intention de vous donner les moyens de vous réunir et de vous exprimer.

— Parmi les diverses actions que nous avons entreprises, reprit Bonucci, imperturbable, nous avons lancé un travail portant sur la démocratie directe. Il en est ressorti qu’il n’est de démocratie véritable que si elle est directe. En outre, en démocratie directe, le vote continu remplace les élections. Par conséquent, les élus constituent l’imposture démocratique par excellence.

Il les fixa avec insistance, pour jauger s’ils s’attendaient à la surprise qu’il leur réservait.

— Vous comprendrez dans ces conditions que je ne sois pas intéressé par le poste de député que vous me proposez, asséna-t-il.

Les mines décomposées de Huard et de Dupéroux lui signalèrent qu’il avait réussi son effet. Manifestement, ils n’avaient pas anticipé son refus, peut-être parce qu’ils considéraient la promotion qu’ils lui soumettaient comme irrésistible pour un Gilet jaune.

— Votre stratégie radicale vous conduit à vous tirer une balle dans le pied, gémit Dupéroux, visiblement décontenancé. Vous signez votre marginalisation de la scène politique nancéienne, alors que les Gilets jaunes ont besoin d’acquérir la reconnaissance qui leur est refusée pour que leur message soit entendu.

— Vous tenez l’occasion unique de promouvoir vos convictions au niveau national, insista Huard, cherchant à faire revenir Bonucci sur sa décision. De grâce, saisissez votre chance. Elle ne repassera pas une seconde fois.

Malgré l’insistance de ses hôtes, Bonucci, pour montrer le caractère irrévocable de sa résolution, se leva.

— Je m’en vais de ce pas rejoindre mes camarades sur le rond-point de l’Espinette, où monsieur Huard est venu me chercher tout à l’heure, s’excusa-t-il avec placidité. J’espère que vous comprendrez mon point de vue, même si vous le désapprouvez.

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Extrait 2/3

Bonucci fut frappé de constater la détermination qui animait le visage de Nicou quand il n’était pas maquillé. Estelle s’était lancée à un rythme trépidant dans la récapitulation des faits. Quand elle eut fini, Nicou avait l’air sidéré, presque inquiet. Son teint pâle, aux reflets marmoréens, conjugué à la finesse de ses traits, évoquait l’androgyne tout droit sorti de la statuaire grecque.

— Maintenant, je comprends mieux les mésaventures que j’ai essuyées la veille.

Tandis qu’il s’exprimait, il ne cessait de se tordre les mains l’une contre l’autre.

— Accouche, l’exhorta Estelle.

— Hier soir, vers 21h, alors que je rentrais chez moi, un drôle de pistolero m’a accosté devant mon domicile. Il m’a proposé de me prendre en photo, sous prétexte qu’il me trouvait charmant. Vous pensez bien si j’ai refusé…

Il avait tellement minaudé la scène qu’on pouvait se demander s’il ne regrettait pas secrètement que l’inconnu n’ait pas insisté dans ses compliments.

— Quelle tête avait-il ? le brusqua presque Bonucci, qui avait flairé le recoupement.

— Il était petit, trapu, chauve, très insistant.

Bonucci hocha du menton, satisfait de la réponse.

— C’est bien le même homme ! confirma-t-il sans appel.

— Quel crime a-t-il commis pour mériter pareil traitement ? s’étonna Nicolas, en traînant sur les syllabes, comme une duchesse qui chercherait à rappeler, par ses manières plus affectées que la moyenne, l’élévation de son rang.

— Juge sur pièce, répliqua Bonucci, en lui tendant les deux clichés.

Quand il en prit connaissance, Nicolas eut les yeux qui roulèrent d’effarement.

— Qu’est-ce que c’est que ce mauvais délire ? geignit-il, le timbre outragé. Je peux t’assurer, Gaspard, que jamais, ô grand jamais, je n’aurais bécoté un laideron de ton style !

Estelle et Bonucci sursautèrent, déconcertés, au vu du contexte, par la sortie outrancière que s’autorisait Nicou. Quant à lui, amusé par le malaise qu’avait suscité sa facétie, il partit d’un grand éclat de rire suraigu et juvénile. Mais ses interlocuteurs conservèrent leur mine grave, pour lui rappeler que l’heure n’était pas aux plaisanteries de potache.

— Es-tu en mesure d’expliquer l’origine du cliché truqué ? se rembrunit Bonucci, impatient d’en revenir au sujet de la réunion.

— À l’heure où les logiciels de type Photoshop pullulent sur la Toile, il ne doit pas être difficile de falsifier une photo, observa Nicou, plus impressionné qu’il ne l’affichait.

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Extrait 3/3

Au moment où Bonucci se leva, Jacqueline dormait à poings fermés. Il partit d’un pas enthousiaste, sans avoir besoin de recourir à son application iPhone pour retrouver le chemin qui le conduisait jusqu’à l’Intermarché de la Croix-Michaud. Tullipot l’attendait dans la même position que la veille, fermement campé sur sa chaise. Il était vêtu d’un pantalon à pince et d’une chemise en flanelle rose. On sentait qu’il tenait à conserver, y compris le temps des vacances, ses habitudes vestimentaires strictes.

Tullipot opina du chef.

— Vous m’avez demandé d’élucider les raisons pour lesquelles je tenais à vous parler. Quelques semaines avant l’élection de Jacqueline, j’ai appris d’une source haut placée dans le renseignement militaire que la guerre en Ukraine était perdue et que la Russie serait le fossoyeur de l’OTAN. Jamais je n’aurais pris au sérieux ces informations sans la précision étonnante avec laquelle ma source me les a prédites. Pour moi, la suprématie de l’Occident sur le reste du monde était plus irréversible que jamais.

— D’où le changement dans vos positions, qui vous a tant déstabilisé depuis quelques semaines, explicita Bonucci, un petit sourire à la commissure des lèvres.

— Je n’en suis qu’aux débuts de mes explications, le mit en garde Tullipot. Quand je vous en aurai révélé le terme, vous n’en reviendrez pas. Vous voilà prévenu.

— Je suis prêt à envisager toutes les éventualités, y compris les plus intolérables, du moment que j’apprends le fin mot de l’histoire.

— La guerre en Ukraine est en passe de révolutionner les affaires internationales. Sur ce point, vous n’en avez pas fait mention dans le cauchemar.

— Dans la réalité aussi, je ne m’en suis rendu compte que tardivement, autour de la rentrée de septembre 2023. Auparavant, j’attendais que l’Occident s’effondre de lui-même. Je n’avais pas anticipé que les nations qui lui étaient étrangères se liguent entre elles pour le renverser.

— Quand j’ai pris conscience du changement majeur qui se produisait, enchaîna Tullipot avec détermination, j’ai décidé de rompre avec les cercles néoconservateurs qui ont infiltré la scène politique française.

Bonucci écarquilla les yeux de stupéfaction. Effectivement, Tullipot n’avait pas exagéré. Il était inimaginable pour qui le connaissait un tant soit peu qu’il ait consenti à pareil chamboulement intérieur.

— Mais il ne m’était pas possible de claquer la porte officiellement, développa-t-il. La vengeance de Dupéroux aurait été terrible. J’ai donc décidé de jouer double jeu et de rallier en secret le cercle souverainiste appelé à monter dans les temps à venir en France.

— Vous êtes sérieux ? le testa Bonucci, plus incrédule que jamais.

— Je suis entré en résistance.

— Pour le compte de quel courant ? s’enquit Bonucci, qui voulait vérifier si l’engagement de l’ancien procureur n’était pas de la poudre aux yeux.

— Vous vous doutez bien que je ne peux vous en révéler l’identité. La confiance que je vous accorde comporte déjà suffisamment de périls pour qu’en plus, je ne grille pas mes petits camarades. Sachez seulement que le souverainisme est appelé à représenter la nouvelle position de référence en Occident, quand le mondialisme se sera effondré. Pour le moment, les souverainistes sont rangés à l’extrême droite par les mondialistes, afin de les discréditer.

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