Extrait 1

Il était à peine 8h, pas de retard à lui reprocher. Elle pensa, Rachel, il s’est passé quelque chose.
— Ryder, un jogger a trouvé un sac à main près de la grande écluse, à moitié caché par des palettes, dont l’anse rouge dépassait.
— Celui de Rachel ?
— Oui, son portefeuille a disparu, cependant, oublié dans une petite poche il y avait sa carte de bibliothèque. Il semblerait que vous ayez eu raison, nous ouvrons une enquête, je vous en laisse la direction. Vous travaillerez avec Verneuil, mais je vous le répète, pas d’esclandre, la discrétion peut nous aider. Ryder, l’alcool, allez-y mollo, personne n’est meilleur en étant saoul.
— Verneuil ?
— Le jeune lieutenant dont le bureau jouxte le vôtre !

Comme la veille, il la regarda s’éloigner pensant qu’il aurait dû l’écouter dès hier, elle avait un instinct de limier. Elle partait tellement en vrille depuis le DRAME qu’il lui faisait moins confiance, tout simplement. Peut-être que diriger une enquête la remettrait en selle. Il devrait ne pas la lâcher, ne pas la laisser partir dans tous les sens.
Ryder se rassit à son bureau.
— Verneuil, le chef t’a prévenu que nous travaillons désormais ensemble sur l’affaire Rachel Delrieu ?
— Oui, tu dois m’en donner les détails et, en piste.

Après un résumé de ses entretiens de la veille auprès de proches de Rachel, ils organisèrent la journée. Perquisition de ses appareils électroniques, l’accord du juge était imminent, de son logement, interrogatoire serré de Selma Meziani, Chloé, la jeune personne de l’accueil, Claire le Ny, Luc Artmann, Mme Lasnier, et tout cela au commissariat. Interroger aussi les coachs du club de boxe, les voisins, ses autres collègues. Si cela ne donnait rien, se replonger dans son passé.
Ryder savait Rachel en danger, ou qu’il était déjà trop tard.
Verneuil et elle convoquèrent tout le monde pour l’après-midi. Elle eut la commission rogatoire pour perquisitionner le logement de Rachel. Elle ne voulait pas fracturer la porte, Selma était assez inquiète, alors ils passèrent à l’hôpital lui demander les clés.
— Nous les laisserons chez votre voisine, Madame ?
— Dujardin.

Et ils filèrent.
L’appartement était impeccable. Ils allèrent d’abord dans la chambre de Rachel, son nom, comme pour une petite fille, était sur la porte, avec des lettres en forme de chat.
Tout était au cordeau : couette tirée, oreillers repassés, les livres alignés sur l’étagère, des classiques ainsi que quelques polars, un bureau en acier avec un petit ordi et deux tiroirs.
Verneuil touchait sa bille en informatique, et après avoir enfilé les gants en latex, il ouvrit l’appareil et commença par consulter les derniers mails. Il en y avait très peu, 2 ou 3 par jour à tout casser, la plupart pour Selma, pourtant si proche, avec des tutos, des vidéos YouTube de chanteur ou chanteuse. D’autres échanges avec des filles du club de boxe, précisant des changements d’horaire pour les entraînements, ce genre de chose. Dans les réceptions, c’était bien différent. Trois mails depuis dix jours avec le même message « Rachel, nous savons ce que tu sais. Si tu parles, ce sera pire que ce que tu as connu. Ça te tente, le bordel ou la mort ? ». L’expéditeur était bien sûr un amalgame de chiffres et lettres sans aucun sens, il fallait remettre l’ordi à la scientifique pour rechercher s’il cachait d’autres choses.
Ryder était livide, Rachel se trouvait dans de sales draps, peut-être morte. La menace de bordel lointain était plus compliquée à mettre à exécution qu’un meurtre même avec un corps dont il fallait se débarrasser.
Elle passa au peigne fin toute la chambre et trouva, scotchée sous un tiroir, une clé et un message : si je pars, si je meurs, Laurette saura.
Cela bouillonnait dans la tête de Ryder, et profitant d’un tour général de l’appartement, elle but un grand trait de whisky à la flasque qu’elle gardait dans sa poche de veste, pour les urgences.


Extrait 2

Un peu avant 5h, Ryder fut réveillée par la sonnerie de son portable qui semblait ne pas vouloir s’arrêter. Le cerveau embué dans les vapeurs d’alcool de la veille au soir, elle entrouvrit un œil dans un effort insurmontable. Soudain, elle sursauta en reconnaissant la mélodie qu’elle avait attribuée spécifiquement à son chef. Prise d’un mauvais pressentiment, elle finit de se réveiller en sursautant tout en se jetant sur son téléphone. Si son chef l’appelait à 5h du matin, il était peu probable que ce soit pour lui annoncer une bonne nouvelle :
— Ryder ?
— En personne. Que se passe-t-il ?
— Je n’ai pas de bonnes nouvelles.
— C’est Rachel ?
— On vient de découvrir son corps.
— Où ça ?
— Dans le parc à conteneurs, caché entre deux. Vous voulez y jeter un coup d’œil avant qu’on l’emmène à l’institut ?
— J’arrive.

Elle raccrocha précipitamment en s’effondrant en larmes avant d’aller vomir. La dernière fois où elle avait contacté l’Institut, c’était après qu’elle eut découvert morte sa fille bien aimée. Arrêt du cœur après des années de drogue et des doses de plus en plus fortes, et elle, Ryder, Capitaine de Police, qui n’avait rien pu ou rien su faire. Et maintenant la petite Rachel, dans quel merdier s’était-elle fourrée ?
Le froid pinçait encore, bien que l’on sente déjà que la journée serait printanière. La lumière chassait la nuit et les ouvriers arrivaient en bus ou à vélo.

Le corps était allongé sur un sac mortuaire, ses longs cheveux étendus en arrière, elle avait une marque au cou et sur le front, les poignets attachés sur le devant. Strangulation dit le légiste, elle était certainement morte avant d’être jetée comme un détritus. Cela date de 5 ou 6 jours, je vous en dirai plus après l’autopsie. Ryder essayait de cacher ses larmes, remontait son écharpe. Elle sentait que tout lui échappait, qu’elle n’était plus à la hauteur. Le chef vint la voir, lui réitéra son soutien et sa confiance.
Avant de quitter les lieux, elle demanda comment on pouvait entrer dans cet endroit ? Fort simplement, il n’y avait dans ce parc que des containers vides, et ce n’était ni fermé, ni gardé.


Extrait 3

Ryder et Verneuil arrachèrent à Pierre Guillot le lieu du RDV, ainsi que la promesse de ne pas prévenir Kebede et lui rappelèrent qu’ils étaient de son côté, ce qui était vrai.
— Verneuil, allons prendre un verre avant le RDV proposa Ryder que le manque d’alcool allait faire foleyer.
Bien sûr elle commanda un double whisky, et Verneuil, qui but un Coca, ne fit aucun commentaire.
Kebede avait donné RDV avec Pierre au pied de la passerelle qu’utilisaient presque tous les ouvriers des chantiers pour accéder aux diverses entrées. À 20h, il n’y avait plus personne. Ryder et Verneuil se postèrent à quelques mètres, plusieurs voitures étaient garées là, ils ne seraient pas repérés. Le temps passait sans qu’apparaisse Kebede. Verneuil sortit du véhicule pour faire le tour les escaliers en tôle perforée. Ryder le vit se pencher puis s’accroupir et elle devina. Elle appela une ambulance avant même de s’approcher de Verneuil qui était penché sur Kebede.
— Il n’est pas mort balbutia-t-il, il a perdu beaucoup de sang, mais on a encore un pouls.

L’homme était allongé sur le dos, caché par la balustrade de l’escalier, et d’une plaie au thorax l’hémorragie continuait. L’ambulance arriva très vite. Ryder prit des mesures pour que Kebede soit sous haute protection à l’hôpital.

Elle appela le chef :

— Kebede est entre la vie et la mort à cause de nous, à cause de moi. Soit il a été suivi, soit il y a une taupe chez nous. J’exclus pour le moment la deuxième hypothèse. Par contre, si Kebede a été filé toute la journée, cela veut dire que derrière les malversations et le trafic d’êtres humains, il y a une vraie organisation criminelle, mafieuse peut-être. Pouvez-vous vérifier que la protection de Kebede soit encore renforcée. S’il est le seul témoin identifié du meurtre de Deressa, il est une cible très sensible.
— Ne vous en inquiétez pas, je m’en occupe et je passerai moi-même au CHU vérifier ce soir.

Appel de Verneuil :
— Kebede a été poignardé. Heureusement, l’assassin a loupé le cœur, il devrait s’en sortir. Il vient d’entrer au bloc, je te rappelle dès l’opération terminée.

Les dispositions étaient prises, la scientifique sur les lieux, et Ryder plus anéantie que jamais. Elle savait que sa négligence avait été responsable de la mort de sa fille, et maintenant cet homme qu’elle devinait probe et courageux. Nom de Dieu pensait-elle, cela ne finira jamais. Il faut que j’attrape ces ordures, et qu’elles croupissent le plus longtemps possible en taule. Sara, tu ne serais pas fière de moi, ma chérie, mon trésor.

Cela faisait bien une heure qu’elle était assise sur la bordure de trottoir près du lieu de l’agression lorsque Verneuil la rappela.
— Kebede semble sorti d’affaire. On a deux flics à l’hosto, un dans sa chambre, un dans les couloirs, va te coucher.
— OK dit-elle, je passerais le voir demain matin. Repose-toi aussi.

Elle connaissait un rade encore plus pourri que celui qu’elle fréquentait dans la journée, et qui n’était pas loin. Elle se saoula proprement la gueule et se retrouva sur son lit, sans savoir comment. Pas de souvenirs, c’est mieux.

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