Extraits n°1
Les heures, et les messages torrides, défilant, érotique-tac, érotique-tac, Soleil sent poindre en elle une envie des plus plaisantes. Les doigts fébriles, elle pianote. « Oh là là, j’espère qu’il va bien le prendre ! », songe-t-elle. Sans en penser un mot, petite donzelle dévoyée va ! « Et si on sautait la case restaurant pour passer directement à celle de l’hôtel ? » qu’elle demande. Innocente coupable de ses désirs.
Dandy est plutôt du genre très très romantique. Hypersensible, doux, tendre. Le mec fondant quoi. Mais foncièrement sans principes. Une merveille de fille lui proposant la botte plutôt que les radis, ça le botte tu penses. Il prend l’initiative à la bonne et y répond favorablement. Dévoyé va !
Érotique-tac. Avec cette perspective en tête, nos deux coquins ne comptent plus les heures. Ils se mettent à regarder les minutes trotter lentement. Si lentement.
Et puis nous y voilà. LE grand jour. The D Day. Embarquement immédiat vers les plages du plaisir.
Bon, on tremble quand même. Dans leur voiture, Soleil et Dandy n’en mènent pas large. À l’intérieur ça bouillonne, ça s’intensifie au fil des bornes.
Ils se retrouvent enfin. L’un face à l’autre, l’une face à lui, lui face à elle. Elle est si belle, il est si beau. On est si beau. Dandy en tremble de voir chaque vibration de Soleil à travers sa robe.
Ils se retrouvent enfin dans la chambre. Elle face à lui, lui face à elle.
Il s’agit de se mettre à nu. Ils le font. Ils se défont de leurs habits, leurs barrières, leur dernier rempart.
Et puis la symphonie commence. Leurs violons sont accordés, ils en obtiennent la certitude dès la première note jouée. L’archet de Dandy glisse sur la soie de Soleil. Elle joue de lui, elle pianote, tambourine bientôt sur sa peau. Ils jouent de tous les instruments. La voilà qui se met à la traversière, et cette musique-là le traverse.
Il la relève de cette fonction, la relève, et ses seins deviennent des hanches de cuivres. Il souffle, soupire, respire, souffle encore. Sexophone.
La partition se fait plus intense. Montée chromatique. Montée des sens, monter, descendre. Alto, fortissimo ! Elle le veut, il la veut. Ils se prennent, s’éprennent, se reprennent. L’archet de Dandy glisse dans la soie de Soleil cette fois. Il se fait contrebassiste de jazz. Il la fait tourner sur elle-même, tournoyer, enchaîne les blanches, les noires, les croches, les doubles croches, sans anicroches, improvise. Soleil adore, Soleil ignorait qu’elle pouvait crier tel un violoncelle.
La symphonie dure. Elle s’arrête. Un silence, un répit. Puis elle reprend. Più forte.
Jusqu’au final. Allegro. Magnifico.
Extraits n°2
Alors, elle l’a avoué comme ça.
Finalement.
Ça n’était pas trop tôt ! Sans doute, on le verra plus tard, était-ce même un peu tard. Mais restez concentrés et accrochez-vous : il lui avait offert une nuit. Au bout de deux ans ! Une nuit dans un hôtel étonnant, une nuit détonante d’orage, une nuit foudroyante, une nuit ardente. Une courte nuit. Une seule nuit. Mais enfin une nuit. Dandy avait eu un « plan ». Pas à trois, ni à quatre, je vous vois venir, non, juste un plan bien à lui et bien huilé. On lui avait offert de tester un nouvel établissement niché au creux d’une forêt, il avait tout naturellement embarqué Soleil dans l’aventure. Pour la première fois depuis leur rencontre, nos deux super-héros avaient pu enlever leur masque jusqu’aux lueurs du petit matin. « Madame, Monsieur, voici votre clé », « Madame, Monsieur, désirez-vous dîner ? », « Madame, Monsieur, avez-vous bien dormi ? ». Que de sollicitudes, que Soleil avait tant et tant de fois sollicitées dans ses rêves.
Bien sûr, tout cela était passé si vite. Beaucoup plus vite que le mois de juillet précédent, un autre juillet, avec ses joyeusetés traditionnelles : l’absence, le manque, le questionnement, balayés bien vite en poussières de non-dits sous le fameux tapis, dont vous commencez désormais à connaître tous les habitants. Ce « magic carpet » où les conversations utiles se carapatent, où les aveux et les mots sérieux jouent à la crapette en attendant que nos deux zigotos se décident, pour de bon, à les convoquer.
Et cette douce nuit passée en douce n’allait en rien arranger la situation. Pas dans un premier temps du moins, ce temps euphorique au cours duquel les amoureux qui ne se le disent pas, et qui se bécotent à peine sur les bancs publics, n’ont pas eu envie de redescendre de leur nuage. « C’était trop bon ! » « Oui c’était fabuleux ». « C’était merveilleux ! » Oui. Mais ce qui serait vraiment parfait, en cet automne qui pointe le bout de ses feuilles mortes, ce serait d’arrêter de se parler à l’imparfait.
Car au cœur de cette saison des pluies, et même en cherchant au creux des plis de leur imagination, Soleil et Dandy n’ont point de projets. Rien ne s’aligne, rien ne point sur la ligne de leur horizon. Rien d’autre que leurs petits rendez-vous, la routine, on s’enlace, on s’embrasse, mais on s’encroûte et ça leur coûte. Avec le sourire, avec émotion. Avec des illusions.
Dandy pourtant, après son ouverture nocturne, avait gambergé. « Et si je la quittais pour elle ? ». La chaleur de la fin de l’été écrasant ses certitudes autant que la peur de lui faire peur, avait refroidi ses ardeurs. Et puis même s’il en était sûr, il n’était pas sûr que Soleil l’aimât à ce point. Vous voyez ? Non ? Lui, si.
Extraits n°3
Assis, voire avachi, dans le confortable fauteuil rouge, Dandy faisait face à sa psy autant qu’à ses douleurs. Il était là pour les combattre, les abattre, pour ne plus se débattre avec sa souffrance. Pourtant, il se demandait parfois ce qu’il foutait là. C’est vrai, on n’avançait pas merde ! Il avait le sentiment de parler à quelqu’un qui l’écoutait, certes, mais qui ne lui serait d’aucune aide. Toujours cette impatience quand il s’agissait de voir évoluer les choses dans le bon sens. Dandy n’en était qu’à sa troisième séance. Mais il aurait voulu que la belle brune qui lui avait donné l’autorisation de déverser ses tonnes de misère sans risquer le moindre reproche, ait déjà trouvé la formule magique susceptible de lui remonter l’ego.
Au lieu de quoi, elle se contentait de l’interroger sur ce qu’était devenue sa pauvre petite vie de type qu’on avait foutu dehors, depuis que Soleil en était portée disparue. De temps à autre, la conversation s’embarquait sur l’enfance, l’adolescence, l’adulescence, l’absence de place du père, la place placentaire de la mère, et toutes ces choses qu’un psychologue digne de ce nom se devait de faire cracher à son patient. Sous peine de se faire crasher lui-même. Dandy avait souri à la phrase « parlez-moi de votre mère » tiens, justement, tournant essentiel qui devait conduire au moi profond, lieu central où se nichaient, se terraient peut-être, toutes les névroses qui l’avaient mené au désastre.
« J’ai le sentiment que vous souhaitez toujours aller au bout du mal. Pourquoi ? »
« Je me bats toujours jusqu’au bout. »
Encore une fois, après le soir fatal, Dandy avait fait montre d’une opiniâtreté sans bornes pour reconquérir celle qu’il n’imaginait pas ailleurs que dans ses bras. Dandy était un coriace, un persévérant, quand bien même cette ténacité devait le plonger dans les méandres de la folie. Se révéler destructrice. Et pour se retrouver sur ce fauteuil rouge, et s’envoyer chaque matin une pharmacopée antidépressive, on peut dire que oui, il avait patiemment construit sa destruction ces deux derniers mois. Il faut en convenir aussi, Soleil s’était attachée à lui faciliter la tâche dans l’accomplissement de cette mission.
Il était allé au bout. En encore, il lui en restait sous le coude ! Dandy avait cru avoir réussi lorsque Soleil avait accepté de visiter l’appartement qu’il avait loué. Il venait de passer quinze jours chez sa mère, eh oui, à dormir dans sa chambre d’antan, sous les posters de ses idoles d’antan, en rêvant à sa vie d’antan avec Soleil. C’est soulagé d’avoir une troisième fois coupé le cordon ombilical que Dandy avait accueilli son amour, son adorée, sa lumière, dans son antre modeste, mais pourvu d’un balcon, on ne se refuse rien. Ils s’étaient à nouveau embrassés, consolés. Ils avaient parlé, beaucoup, calmement enfin et s’étaient promis de retrouver ce qui était eux, tout en douceur.
Mais les démons de Soleil étaient en éveil. Ils n’acceptaient pas qu’un Dandy, fusse-t-il surnommé Superman, vienne marcher sur leurs plates-bandes, leurs prérogatives. Il s’agissait d’emmerder Soleil jusqu’à la lie, jusqu’à l’hallali de Dandy. Au retour d’un week-end à l’étranger, elle l’avait donc laissé tomber pour de bon. Lui, son amour transi, ses rêves, ses compliments, ses attentions, sa force de conviction, sa force de caractère, ses mains, sa peau, son odeur, et tout le toutim. Elle ne voulait pas qu’il l’aime ainsi, elle était incapable de lui rendre tout cet amour. Elle n’en valait pas la peine. C’en était si désarmant qu’il en était resté sans voix en la raccompagnant à sa voiture. En parlant de moi profond, celui de Soleil lui semblait si gravement et si étrangement atteint, que Dandy s’était résigné à la laisser filer. En espérant que le temps, ce guérisseur autant que tueur, la ramènerait vers lui.