Extrait 1
Sur le palier, Marcello était à pied d’œuvre. Il s’entretenait avec Mireille, la responsable du pôle scientifique de l’Évêché, une petite brunette au regard perçant et à l’accent marseillais bien ancré qui faisait son charme. Autour d’eux ça grouillait. Des fonctionnaires en combinaisons blanches évoluaient à la lumière des projecteurs. Ils s’agitaient, silencieux, dans une atmosphère lourde, mélange de suie en suspension et d’odeur de cramé tenace. À l’instar des opérateurs de centrale nucléaire, ils portaient des masques et des lunettes de protection qui leur couvraient jusqu’à la totalité du visage. Vision fantomatique d’équipes fouillant et flairant les décombres.
Couloirs et entrées étaient gardés par des agents en uniforme. Ils semblaient superviser les va-et-vient incessants de leurs collègues dans cet espace retourné par la monstruosité d’un acte sanguinolent, éminemment odieux, alors que les soldats du feu, jugeant le danger écarté, pliaient bagage.
— Selon nos premières investigations, expliqua la cheffe du service scientifique d’une voix fluette, la mort est consécutive à l’explosion d’un colis piégé. La malheureuse a pris la déflagration en pleine tête. Elle est complètement défigurée, méconnaissable.
— Est-elle identifiable au moins ? s’inquiéta-t-il.
— Par ses vêtements et sa position, oui. Il s’agirait de la directrice des ventes pros. À confirmer après reconnaissance familiale et analyses d’usage, bien sûr.
— Son nom ?
— Sabrina Montero.
— Quel âge ?
— La trentaine.
— Tu écartes le suicide ?
Malgré l’horreur qui s’étalait devant ses yeux, Mireille laissa échapper un gloussement réprobateur :
— Mon pauvre, n’as-tu jamais vu quelqu’un se suicider avec un colis piégé ? Une erreur de manipulation, un accident pourquoi pas ? Mais un suicide, tu plaisantes, j’espère ! ?
L’inspecteur principal ne sut qu’objecter tant la logique de sa consœur tombait sous le sens. Généralement, les écorchés vifs choisissent d’autres moyens moins sanglants mais tout aussi efficaces pour mettre un terme à leur misérable existence terrestre. D’ailleurs, au hit-parade de la mort conviée, le genre masculin occupe la première marche devant le genre féminin qui traîne des pieds pour offrir son âme à Dieu. Tous sexes confondus, la pendaison ou les barbituriques sont les sauf-conduits les plus appréciés par les candidats, volontaires et spontanés, au dernier voyage.
Marcello avait connu bien des abominations au cours de sa longue carrière et encore plus à l’entendre. Arme à feu, noyade, saut dans le vide ou sous les roues d’une locomotive en folie, la liste était loin d’être exhaustive tant l’imagination des démons qui habite les désespérés n’a point de limite. Mais se faire péter la gueule comme ça, au boulot, jamais ! C’était de l’inédit.
— On va voir ! ordonna-t-il à sa jolie interlocutrice.
Elle approuva d’un mouvement de tête vertical.
— Par ici. Suis-moi. Le bureau ou ce qu’il en reste est juste à côté.
Puis, hésitante, elle ajouta :
— Ce n’est pas un spectacle pour ton assistant !
— Tu n’y penses pas. Il nous accompagne, imposa-t-il.
Extrait 2
— Céli, cria le father à pleins poumons, un flic pour toi.
— Pourquoi tu gueules comme un putois, reprocha une voix fluette, comme lasse de vivre, depuis la chambre voisine. Je peux pas marcher mais suis pas sourde. Je veux voir personne.
Gonfler à bloc, l’imposteur de circonstance intervint à son tour, portant sa voix par-delà la cloison :
— Vous n’avez pas le choix, Mademoiselle. Vous souhaitez peut-être venir en personne à l’Hôtel de Police ?
Retour immédiat :
— Une minute, j’arrive.
Effectivement, l’attente ne fut pas longue. La pauvresse recroquevillée dans son fauteuil roulant tentait de dissimuler sa mauvaise forme physique sous une couverture à gros carreaux dépliée sur ses jambes. Le visiteur remarqua d’emblée l’aspect frêle de son témoin. Les joues pâles, la silhouette menue, la jeune femme inspirait bienveillance et commisération. Il compatissait d’autant plus à son malheur présent qu’il l’avait connue en meilleure forme et en pleine santé.
— Vous pouvez nous laisser, imposa le Marius nouveau, détective privé de son état depuis peu, au père de Céline.
Désireux de ne pas indisposer la force publique, le paternel s’exécuta certes, mais de fort mauvaise grâce. Il grommela quelques mots d’acceptation dont la signification échappa au destinataire supposé.
Mèhu se retourna alors vers la pauvrette qui, visiblement, ne le remettait pas. Avait-il autant vieilli, pris autant de rides pour qu’il fût à ce point méconnaissable ? Évoquer le poids des ans lui causa quelques désagréments. Il se rassura néanmoins en se persuadant qu’ils s’étaient peu côtoyés et qu’en définitive, ils s’étaient seulement croisés de loin et sur le tard. Dès lors, il estima plus habile de préserver le confort de son anonymat sous sa casquette de policier et d’user de l’autorité conférée par l’habit.
Il enchaîna, directif :
— Je voudrais que vous me parliez des Bons Enfants, de Nicolas, de cette soirée à l’issue de laquelle tout a basculé pour vous.
Comme pétrifiée, la gorge sèche, la malheureuse resta coite. Elle dirigea son regard vide, figé, dépourvu de sentiment et d’expression, vers la fenêtre ouverte. Elle n’était plus là, elle était ailleurs, elle planait dans un monde qui lui appartenait totalement et dont elle se réservait la jouissance exclusive.
Coupé dans son élan, l’interviewer remit l’ouvrage sur le métier. D’un raclement de gorge appuyé, il rappela son interlocutrice à la réalité de la situation, puis il répéta, autoritaire :
— Parlez-moi de cette soirée.
Elle s’excusa de l’avoir délaissé au profit de ses pensées, remplit ses poumons du courage qui lui faisait défaut et amorça un long, très long monologue.
D’un verbe lent, entrecoupé de sanglots, elle lui décrivit les circonstances de l’accident. Un virage négocié comme un pied, des tonneaux à ne plus en finir, le choc frontal dans le pare-brise, l’extrême violence de l’atterrissage, et enfin le calme absolu, la paix intérieure ; la tranquillité extérieure d’un jardin ouaté, aux couleurs pastel, la chaleur douce et tendre d’un soleil prévenant.
— C’est peut-être cela le paradis, commenta-t-elle, ingénue.
Mais au réveil, elle plongea brusquement, sans transition dans l’enfer de la souffrance morale et physique. Ses membres inférieurs, toujours présents, n’existaient plus. Elle voyait, touchait ses jambes mais ne les sentait plus. Le calvaire de la rééducation inutile. Et sa force psychique, sa volonté qui se barraient au rythme des progrès inaccomplis. La déprime, l’isolement et l’attente – de quoi, de qui ?
Puis ces mots lourds de reproches :
— Malgré toutes ces années, j’en veux toujours à Nicolas. Il avait fumé, et pas que du tabac, bu aussi. Il a bousillé ma vie, l’ordure. Je le hais. Il a payé maintenant, ce n’est que justice.
Même son fiancé, Olivier Fracasse, le bien nommé, s’était barré. Il avait pris la tangente, le lâche.
— J’espère qu’il aura lui aussi ce qu’il mérite, prédit-elle.
Et de conclure, menaçante :
— Qu’il crève !
La sentence était sans appel.
Extrait 3
Est-il nécessaire de préciser que Marcello, complétement désorienté, bouche de gobie à l’appui, siffla d’admiration devant le travail effectué?
En voici la teneur :
Hypothèse 1 : Chacun pour soi
— « Nicolas, frustré bipolaire, supprime Sabrina. Il savait que sa fiancée (et supérieure) prendrait la liberté d’ouvrir le colis qu’il s’était lui-même adressé.
— « Dans un second temps, il est la victime (accidentelle ?) de ses manipulations hasardeuses.
— « Ernesto, ambitieux et jaloux, se dispute avec le prêtre. L’algarade tourne à la catastrophe. Bagarre. Père Jean perd la vie d’un coup de crucifix en pleine tête d’une violence extrême. Homicide involontaire ?
Hypothèse 2 : Échanges de mauvais procédés
— « Ernesto tue Sabrina pour Nicolas.
— « Nicolas exécute Jean pour Ernesto.
— « Nicolas victime accidentelle ?
Hypothèse 3 : Conspiration tripartite
— « Martin assassine Jean pour Ernesto.
— « Ernesto trucide Sabrina pour Nicolas.
— « Nicolas n’a pas le temps de buter « x » pour Martin. »
Dans cet annuaire des probabilités, il était cependant ardu de dénouer la pelote des culpabilités. La capture d’Ernesto s’imposait pour remonter le fil d’une enquête qui s’enlisait dans les méandres des suppositions.
Bonjour.J’aimerais bien découvrir ce polar qui a l’air bien ficelè.