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Une ombre mince l’attend adossée au mur, à quelques mètres de lui. Elle ne bouge pas et ne se manifeste pas en le voyant s’approcher. Mathis ne sait pas comment réagir. Est-ce bien lui qu’il était censé rejoindre ?
Un regard dans sa direction, puis il fait mine de continuer sa route. Ce n’est peut-être pas lui qu’il doit retrouver. Est-il en avance ?
Il frissonne en sentant une main se poser sur son épaule. L’ombre a bougé. Sous la capuche, l’adolescent ne distingue pas les traits du visage dissimulé dans l’ombre. Seuls deux yeux noirs le brûlent en se posant sur lui. Ce qui le frappe également est l’extrême maigreur du jeune homme. Sans un mot, il le toise et l’inspecte longuement avant de briser le silence.
— Alors c’est toi qui vas me fournir ?
Mathis croit distinguer une nuance de déception dans la voix du géant maigre qui lui fait face. En guise de réponse, il hausse les épaules.
L’homme lui prend la main pour y fourrer les billets. L’adolescent lui remet les médicaments, puis l’autre s’éloigne. La scène n’a duré qu’une poignée de secondes au maximum, mais Mathis a l’impression de sortir d’une apnée de plusieurs minutes.
Il attend d’émerger pour dégainer à nouveau son téléphone et composer le numéro de sa copine. Enfin, elle décroche.
— J’arrive, Léa. Je sors de la salle. Tout va bien ?
— Non. Viens, s’il te plaît. C’est urgent.
Elle ne lui laisse pas le temps de répondre avant de mettre fin à la conversation. Cela ne lui ressemble pas. Il se précipite vers son vélo, ne s’assied même pas sur la selle et donne de grands coups sur les pédales pour obtenir le plus d’accélération possible.
Une vague de dépression le saisit. Rarement, telle noirceur l’avait envahie depuis les mois qui avaient suivi la mort de son père. Il a l’impression que tout déraille. Il se retrouve mêlé à des personnes sordides. Sa mère fréquente un mec qu’il ne sent pas du tout et qui a un fils qu’il sent encore moins. Et maintenant, sa copine l’appelle à l’aide.
Plongé dans ses pensées, il ne perçoit pas les vibrations changeantes dans l’air, les vibrations typiques produites par le poids et la vitesse d’un véhicule d’envergure. Le manque de concentration l’a fait se dévier un peu trop sur sa gauche. Quand il voit le camion a la sortie du virage, il est trop tard.
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Vraiment, il a tout gagné dans cette histoire. Finies les livraisons à droite à gauche. Il ne lui reste plus qu’à empocher un peu de tunes et d’en laisser quelques miettes à l’autre abruti qui avait l’air bien content du deal qu’il lui a proposé. Et pour couronner le tout, il n’aura plus à voir la sale gueule de Romain.
— T’as l’air de t’être bien entendu avec son fils.
Son médecin de père brise le silence sans lever les yeux vers lui. Il faut quelques instants à Lucas pour comprendre à quoi il fait allusion. Il sourit intérieurement en prononçant sa réponse.
— Ouais ça va, il est cool.
Un vrai pigeon, oui ! Il a même commencé à élaborer un plan pour lui faire porter le chapeau pour tout si jamais ses petites histoires finissaient par sentir le vinaigre.
— Et Sylviane ?
Décidément, son daron, qui ne lui adresse tout au plus que dix mots par jour, est bien bavard ce matin. Sylviane ? C’est qui celle-là ?
— Sylviane ?
Ce n’est qu’au moment où il prononce sa question et voit les sourcils de l’homme se froncer qu’il se souvient de la bonne femme de la veille. Il l’a à peine observé, bien trop préoccupé par son problème, et encore moins adressé la parole.
— Ouais, elle a l’air cool aussi.
Petit sourire en coin de son père qui paraît satisfait de la réponse de son adolescent. Ce dernier avale son café d’une traite en grimaçant. Il n’aime pas vraiment ça. C’est trop amer. Plutôt dégueulasse même, mais il est persuadé que ça lui donne un air cool d’en boire, et surtout, l’effet de la caféine lui donne le coup de fouet nécessaire pour commencer sa journée.
Sur son scooter, il parcourt les quelques kilomètres qui le séparent de son lycée en se repassant le plan qu’il envisage de mettre en place pour tirer le plus possible profit de Mathis, puis de le faire tomber une fois qu’il en aura assez. Ce nouvel arrangement va l’éloigner de tout soupçon. Il ne reste plus que les ordonnances et transactions en pharmacies. Au moment venu, il dérobera le carnet à son père et le cachera chez l’autre abruti pour lui faire porter le chapeau.
Un sourire narquois étire ses lèvres. Tout est sous contrôle, comme toujours. C’est ce qu’il aime, avoir un coup d’avance, tout prévoir. Les autres ne sont que des pions à manipuler, et il adore jouer la partie.
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L’homme ouvre la bouche, mais paraît incapable d’en faire émerger le moindre son.
— Monsieur Dussol, vous êtes en état d’arrestation pour le meurtre de Mathis Gressieux. Je vais vous demander de me suivre au poste de police.
Les épaules baissées, il se lève et finit par parvenir à articuler quelques mots.
— Vous permettez que j’aille au moins enfiler un pull ?
Guillaume, toujours assis, se contente de hausser les épaules. Il observe l’homme à la maigreur maladive se lever avec un profond sentiment de dégoût.
Quel gâchis ! L’image de Mathis se superpose à celle de son fils. La peur l’assaille. Maintenant qu’il a reconstitué les pièces du puzzle, il est assailli par la peur et l’écœurement.
Un concours de circonstances absolument tragique a placé cet adolescent sans histoire, qui avait toute la vie devant lui, dans la trajectoire d’un homme rongé par le désir de vengeance. Une véritable tragédie qui a fait du jeune Mathis la victime collatérale d’une histoire qui le dépassait.
Un frisson le parcourt.
C’est un courant d’air qui traverse la pièce, suivi de près par le bruit d’un son étouffé.
Paniqué, Guillaume se lève et se rue dans la chambre.
Trop tard.
La fenêtre est ouverte, la pièce est vide.
Perney n’a pas besoin de regarder ce qui se trouve en bas de l’immeuble. Les cris qui viennent de la rue le lui confirment.
Thibault, rongé par la culpabilité de la mort de sa sœur, et désormais par son échec de ne pas avoir pu la venger, vient de la rejoindre en se jetant du sixième étage.