Extrait n°1
Papi Bô pressentait l’émoi d’Ariane, aux aguets, prête à filer à l’anglaise. En la regardant, il repensait à ses vingt ans, à sa jeunesse. À l’époque, il était sans foi, ni loi. Vingt ans et belle comme un cœur ! Au même âge, j’étais beau moi aussi, se disait-il en l’épiant du coin de l’œil. Que de belles années ! Il était un beau gosse qui plaisait aux filles, mais cela le laissait de glace. Il n’était pas intéressé, pas encore. Jusqu’à ce qu’il séjourne en Afrique pendant plusieurs années. À son retour dans l’hexagone, sa vie avait pris un tournant décisif, il avait découvert un autre moi. Il était devenu un coureur de jupons, avide de conquêtes, indifférent aux larmes des sylphides délaissées. Et en cette fin d’après-midi, il avait à ses côtés une belle donzelle qui semblait terrorisée. Elle était paralysée comme un animal pris au piège. On aurait dit qu’elle faisait semblant de faire le mort pour qu’il l’oublie. Mais celle-là, il ne la louperait pas, il voulait essayer de changer soixante ans après. Il était temps, il en avait quatre-vingts. Il voulait seulement discuter en ne faisant aucune remarque déplacée, sans faveur lubrique, sans contrepartie sexuelle. Mais cela, elle ne le savait pas. Il recherchait un plaisir plus perfide et invisible. Ce plaisir, c’était celui de voir la métamorphose de ce visage diaphane, passant du pire au soulagement. La frayeur de l’attente d’y passer, puis le soulagement lorsqu’il la déposerait sans avoir rien fait. Elle raconterait avoir seulement accompagné un vieillard à une course de chevaux tout un après-midi durant, en échange d’une belle liasse de billets. Personne ne la croirait ! Quel homme ferait ça ? Un vieux désaxé ! Il n’a tout simplement plus la force d’être au garde-à-vous. Que nenni ! Toute sa vie durant, on s’était trompé sur son compte. Son grand plaisir avec les femmes, c’était d’observer leur émoi. Le passage d’un état à un autre. Il avait pu le constater dans les ébats amoureux. Il y avait le plaisir des préliminaires, l’excitation du frôlement des corps, puis le plaisir d’être en elles mêlé à leur légère douleur du va-et-vient jusqu’à la satisfaction de la jouissance. Ce qui l’émerveillait, c’était de voir jouir une femme, il y avait tant de façons, toutes uniques, fascinantes. Il se rappelait chacune de ses conquêtes par leurs orgasmes, quelles apothéoses ! Les femmes et les courses de chevaux, ces deux passions où l’être est dépossédé de son corps, de sa raison soit par la pulsion sexuelle soit par la pulsion vénale.
Extrait n°2
Il prit la parole :
— J’ai rencontré une jolie fille depuis quelques semaines, elle s’appelle Ariane, elle est étudiante en psycho et elle m’accompagne, de temps en temps, à l’hippodrome et pour boire le thé. On est très complices.
À son discours, Jacky éclata de rire et lui lança :
— Hé le Daddy, avec tes guibolles de vieux chnoque, tu frimes, parce que t’as réussi à draguer une femelle ! Et au fait, when tu la kill, la miss ? Before ou after le thé ? dit-il sur un ton aigu, volontairement ironique et moqueur.
— C’est du sérieux, s’énerva-t-il, je ne vais pas la tuer, j’ai changé, c’est fini tout ça, je ne vais plus tuer.
Pour une fois, La Simone, elle était d’accord avec le Jacky et prit la parole :
— Bon, j’vois bien que t’es sincère grand-père, mais t’es fait comme ça, t’as le grain du tueur, nos chers amis experts psychologues diraient, c’est dans l’ADN ! Tu n’y peux rien ! Alors, dans ta jeunesse t’as bien profité maintenant t’as raison avec tes 80 balais, calm’ toi, arrête. Mais nous la joue pas repenti et bête à bon Dieu ! Pas à nous ! On sort du même moule. Je comprends, comme t’as jamais été attrapé, dis plutôt que tu ne veux pas finir au mitard, que t’as la trouille. Cette fois, c’est humain, c’est normal.
Extrait n°3
La trentaine galopante, Boris assouvissait toutes ses passions : les femmes, les courses et les meurtres. Rien ne lui résistait, c’était la grande époque, où il gagnait souvent aux courses, enchaînait les conquêtes et déambulait le soir dans les allées du bois de Boulogne pour repérer puis capturer ses proies à qui il réservait une issue fatale. Il continuait d’écrire son journal minutieusement comme il tiendrait un livre de comptabilité. Il ne tuait que les jours de pleine lune, cela lui permettait les autres soirs de faire du repérage. Il ne visait que les tapineuses postées sur le trottoir, jamais dans une camionnette, trop risqué. Il les choisissait ainsi. Il savait que la police des mœurs était moins regardante sur les disparitions des prostituées. Et ce n’étaient pas les macs qui allaient se plaindre d’avoir « égaré » une de leurs putes. Il pouvait commettre ses forfaits en toute impunité, enfin presque. Il reste que les filles de noce étaient les seules à s’inquiéter de la disparition d’une des leurs, surtout quand on en retrouve une sur le carreau tous les soirs de lune complète. Il y en a bien quelques-unes qui s’étaient plaintes d’insécurité, d’un client tueur, mais la police n’en avait cure. D’ailleurs, le surineur avait remarqué que les nuits où il sévissait, les trottoirs étaient plus calmes et les camionnettes plus nombreuses, cela l’amusait et ne le démotivait pas, bien au contraire, cela devenait un challenge pour lui de trouver une victime. Le plaisir n’en était que décuplé. Sa façon, de faire était toujours la même. Il s’approchait avec sa berline pour convoiter la demi-mondaine, baissait sa vitre, demandait une passe, toujours une fellation et il acceptait sans discuter le tarif. La belle-de-nuit montait côté passager, il payait d’avance, afin de rassurer sa partenaire d’un soir. Cela était apprécié, même s’il récupérait évidemment sa mise à la fin, mais ça, la professionnelle ne le savait pas ! Puis, il roulait vers une allée tranquille du bois, il arrêtait le moteur. C’est à ce moment-là que la fille comprenait que c’était le signal pour commencer la prestation. Papi Bô usait d’un stratagème pour étrangler ses victimes. Il leur demandait toujours de garder leur ceinture de sécurité attachée, puis de se baisser pour lui dégrafer le pantalon. Toutes obtempéraient, il se justifiait en expliquant qu’il craignait un contrôle de police. Et avec la ceinture, il lui serait plus facile de nier avoir embarqué une gagneuse. Elles souriaient à ce mensonge naïf et crédule, elles baissaient leur garde, c’est ce que voulait Boris. Il paraissait comme un gentil client, inoffensif et sans histoires. La réalité était tout autre. Ce gaillard attaquait ses victimes comme un chien fou qui se jette sur sa gamelle. Il saisissait le cou de la catin, serrait fortement en la regardant dans les yeux jusqu’à ce qu’elle pousse le fameux petit cri d’oiseau. Toutes se débattaient, mais elles étaient prises au piège dans la voiture par cette fichue ceinture, moquée quelques secondes auparavant. Le stratagème fonctionnait à chaque fois et il n’y avait aucun témoin pour le déranger. Il finissait son crime en nouant une cravate au cou de ses victimes. Il en choisissait toujours une avant de partir. À la nuit tombée, il n’y avait que la Lune comme spectatrice de cette folie destructrice, c’était la lueur de vérité qui restait silencieusement triste. Le vieil homme vénérait cet astre mystérieux comme lui. C’était sa ligne de vie lors de ses errances nocturnes. Ce mode opératoire lui permettait de ne pas prendre de risque, car il ne sortait jamais de sa voiture et ne risquait donc pas d’être vu par qui que ce soit. À tel point qu’il ne s’embarrassait pas de dissimuler son visage. Quel intérêt ? Aucune de ses proies ne pouvait s’échapper. Le seul revers de la médaille était les ongles. Toutes ces maquerelles avaient toujours des faux ongles. Lorsqu’elles se débattaient, elles griffaient ses mains. Pour le quidam, ce n’était que des égratignures, mais pour lui qui était hémophile, c’était lourd de conséquences. À chaque fois, il risquait de s’infecter. En cause les plaies qui saignaient longtemps après l’agression et qui mettaient du temps à cicatriser. Il avait pris l’habitude de mettre des gants, mais il trouvait que cela lui gâchait le plaisir de la strangulation.