Coup de Soleil sous un Bananier (extraits)
Extrait 1
Elle se révèle toute fraicheur sous ma paume fébrile. En douceur je la caresse, pour lui dire que je me tiens à la porte de son rêve. J’enserre délicatement ses rondeurs. Comme si je n’osais ! Comme si à chaque fois sa présence m’était inaccessible. Je mendie sa réponse. Comme si je n’étais qu’un ver, humblement enfoui sous la terre qu’elle foule. Je mendie son écho. Comme si je craignais de l’égratigner, de la surprendre. Je m’en voudrais de la forcer. Même si, dans la fougue de l’amour, il m’est des moments de forcené. J’hésite, de peur de l’abimer, de détruire ce qu’elle est, ce que nous sommes. Comme s’il était impossible que ce soit Elle, que ce soit moi, que ce soit nous. Son contact me brûle le sang. Elle est là en personne et son corps inconscient me répond. Je me plais à croire qu’il m’appelle.
Je la frôle et elle s’impose comme un diktat. Son sein de pomme étoile, perle du lait que je butine, alarme ma poitrine de battements égarés. Je la respire et je suffoque. Je perds la tête. Je succombe.
Elle n’a pourtant pas bougé. J’ai dû me jouer un délire. Cette immobilité de marbre m’intrigue comme une menace.
Cille à peine sa jugulaire. Ouf ! le stress a décampé ! Et j’aime ces moments où je guette la source du frisson. J’aime à les différer. Qu’elle se gorge à pleine chair, de ces empreintes qui la dessinent du pinceau de mes sens. Je prends mon temps, assagis mes mains de leur déraison. Mes doigts volètent sur sa peau. Ils dérapent, je dérape. Le nez dans l’échancrure où me mène le méridien arqué de son dos, mes mains lissent ses demi-lunes, comme des bouées de survie. Qui suis-je ? Qui est-elle ? Elle me tire de ma mort.
Je vogue comme bébé qu’allaiterait un volcan. Je ne suis plus rien, elle est tout. Les mots que nous n’avons jamais dits affleurent. Ils se précipitent comme torrent impétueux. J’ai beaucoup à te confier : comment me recevras-tu ? Notre dialogue muet se pare de ouate, de vagues de rochers onctueux comme une crème aux reflets d’ambre surplombant le paysage qui s’imprime sous mes paupières. Je suis un mendiant, mendiant de ta beauté, mendiant de ton amour. Je me sens glisser dans le lit du vallon. Je l’implore. Elle se montre impérieuse. Je me soumets. Ses bras se font lianes et fasèyent à mon souffle. Je baigne dans l’au-delà.
Mes lèvres lui déposent des frétillements d’ailes, pianissimo, furtifs, secrètement. Je ne suis plus que cette brise qui lui sert de vêtement, son émoi, son délice. Je vagabonde entre les images mêlées d’hier, de toujours, d’elle toute entière et de ces infimes plages d’elle qui se collent à mon corps et décuplent mes sensations. Elle me sait gré d’un soupir… sur la rive de son réveil indécis. Je m’insinue un peu partout, dans ses courbures, ses plis, entre ses cuisses qui me flanquent. Elle tressaille. Je clos ses paupières d’un majeur et je la perle de la langue. Entre douceur et précipitation, je vagabonde. À suivre les sentes, les collines, les cimes, les berges, les marines, à perte des vallées de son corps. Elle frémit à n’en plus pouvoir.
À son sursaut, comme un miroir qui s’en repait, je plante mon regard dans la vague verte de ses yeux et lui murmure quand elle m’enlace :
— J’ai envie de toi…
Ils ont franchi ma gorge… ces quelques mots qui ont pris la poudre d’escampette… Inarticulés, incompréhensibles pour elle. Sans doute, puisqu’elle ne dit rien. Les a-t-elle même entendus ?
Et nous roulons, elle se déploie. Je me plie à sa vibration. Et j’aime la voir ainsi éperdue, ondulante, s’agiter, trémuler. Elle ignore combien déjà elle m’a offert, là, sans bouger, comme un cadeau. Inutile, vraiment d’en parler. Elle se répand en source vive. Son eau m’attise. Elle est miel. Son existence est pur bonheur. Son aura rejaillit en onde fusionnelle. Je me délecte. Je la rejoins dans les profondeurs de cette voie semée d’étoiles qui m’incendie de ses éclats, de ces déflagrations, de ces explosions de lumière qui illuminent ma boîte crânienne et l’accouchent doucereusement au plaisir.
Je n’ai rien d’autre d’elle, que ce plaisir. Comblé mais ce n’est pas tout. Je voudrais davantage : le bonheur. Je voudrais qu’elle me parle, que son mystère fasse partie de mes moindres mouvements. Je voudrais être son souci, le ciel qu’elle vient percer d’étoile ; son rayon de soleil, celui qui la distrait, qui l’attire, qui la réjouit et la rassure. Pas juste un prénom qu’elle susurre dans son sommeil. S’amourer ainsi me creuse un vortex qui me jette, esseulé, perdu comme au versant d’un rivage.
Extrait 2
Un orage semble gronder intérieurement. Au point d’en distinguer les roulements lointains…
— Voilà : les papiers racontent qu’avant moi, tu avais une autre femme. Je sais que tu ne t’étais pas marié avant moi et justement, je me suis dit que c’était une blague ! Que ce genre d’erreur, c’est juste pour savoir si je vais marcher…
— Marcher comment ? Bien sûr que j’ai eu plusieurs copines avant toi… histoires sans vraiment de lendemains, même si à chaque fois, j’y croyais… mais je ne vais pas débagouler sur ma vie antérieure ! le passé est enterré !
— Ben justement !
— Justement quoi ?
— Les papiers disent que ta copine a été trucidée !
— Quoi ? ! ? hurle presque Raimiti, manquant de faire échapper la garniture de son sandwich.
Il s’essuie précipitamment la commissure des lèvres qui elle, n’a pas été épargnée.
— Pardon… reprend-il.
— Je vois que ça te choque autant que moi ! ! !
— C’est qui cette fille ?
— Les messages sont un peu confus sur la question… Un coup, ils disaient que c’était au début de notre idylle, que tu n’avais pas complètement rompu avec elle, un coup…
— C’est pour te faire bisquer ! ce genre de correspondance ! juste pour te faire regretter jusqu’aux petits commencements ! Ils veulent en venir où ces torchons ? C’est juste pour remettre de l’huile sur le feu de notre divorce… J’espère que tu ne marches pas !
— Ben justement, tant que c’était des conneries de ce genre… je n’allais pas te déranger !
— Ben alors ? Qu’est-ce qu’il y a d’autre ?
— Laisse-moi finir ! je reprends : un coup, ils disent que c’est celle qui m’a juste précédée…
— Laquelle ? Tu as son nom ?
— … Waou ! Tu joues les débiles ? Le rôle te va comme un gant ! Mieux ! il couronne ta carrière !
— Je…
— Laisse-moi finir, s’il-te-plaît ! ou je me tire ! parce que ce qu’ils disent les messages, c’est que j’ai échappé au même sort ! que j’ai bien fait de divorcer ! que…
— Et comment donc ! Complice et prochaine victime à la fois ! Tu fais fort ! Et sur ta liste, je fais office de serial killer ? T’en rates pas une ! ! ! je me demande ce que je fais ici…
— T’as pas l’air de te rendre compte !
— Bon ! tout ça c’est du vent ! Tu vois bien ! Puisque c’est toi qui a pris un autre mec pour pouvoir divorcer ! Même si tu m’accusais d’adultère pour toucher le pacson!
— Ce n’est pas si simple que ça !
— Je vois !
— Moi, pas
— C’est quoi le problème ?
— Parce que là, les messages avancent des preuves !
— Quoi ? On est en pleine histoire de fous ! Y’a pas un mec qu’aurait des vues sur toi et qui aurait pris ce détour pour te harceler ?
— Les preuves ? tu veux les connaître ?
— Vas-y toujours… au point où on en est !
— Tu te souviens de la gourmette que tu cherchais partout ? Eh bien, ils en ont fait un scan ! à ton nom qu’elle est gravée ! Tu te souviens ? Tu m’avais accusée de te l’avoir dérobée !
— Ça ne me dit rien !
— Mais si ! mais si ! Tu m’avais fait une de ces scènes ! ! !
— Rien…
— Je te retrouve là : toujours, le déni ça ne me dit rien !
— Même que pour te faire pardonner, tu m’avais offert des fleurs, le jour même !
— J’ai oublié ! J’avais dû dire ça sous le coup de la colère ! Et tu me connais ! sous la colère, je dis n’importe quoi ! et après j’oublie tout !
Raimiti accuse cependant une pâleur soudaine ! Il s’enfile d’un coup le mini-pack mangue-orange estampillé ″Rotui ″ de Moorea. Mais il se reprend vite :
— Mes plus plates excuses si par hasard, par bêtise, je t’ai détractée, de quoi que ce soit à ce sujet… mais il est vrai que ma gourmette, ça fait des siècles que je l’ai perdue… De plus, tu m’en as offert une… que je porte toujours. Mettant la main au poignet gauche : tu ne souhaites pas que je te la rende ? Au cas où : je le fais tout de suite !
— Tu n’as pas l’air de comprendre !
— Faudrait que je comprenne quoi ?
— La fille morte, elle portait ta gourmette !
Extrait 3
Monsieur Tout le Monde est enterré à partir de maintenant. Je veux fuir mon profil de pov’mec. Les chaussetrappes, fini pour moi.
J’ai envie de faire vivre et de vivre de belles histoires et je vais me prononcer aujourd’hui.
Aujourd’hui, nous sommes samedi. Chaque jour de la semaine m’a déjà cédé son lot d’événements plus ou moins favorables. »
Raimiti quitte la terrasse où il s’était installé à cause de la touffeur pour se réveiller doucement et sentir les premières lueurs du jour. Le temps est particulièrement clair. Encore une de ces journées qui s’annonce chaude, mais sans excès. Peut-être les nuages viendront-ils se faire pousser par le mara’amu[1] ; mais ce sera plus tard.
Raimiti s’épate à être guilleret et s’amuse à préparer le petit déjeuner.
Comme pour aider le jour à se décider.
« Facile ! Aata commençait un peu à émerger quand je me suis levé. La fraîcheur de ce petit matin sera peut-être mon alliée. Sûr qu’elle ne mettra pas longtemps à apparaître. Et pourquoi ne pas se faire de petites surprises. Bref, ça je viens de le décider. L’impatience me gagne. Mais ça faisait un bout de temps que j’y songeais vaguement. »
Aata, tartine suspendue au bout des doigts est maintenant attentionnée au manège d’un minuscule oiseau. Un brin affectueuse, elle s’inquiète de son trajet. Planant. Stationnant sur un rameau de tiare. Se laissant descendre sur le gazon. Arrachant un brin d’herbe plus long que lui. Se lançant vers les cimes. Et disparaissant. Recommençant son manège.
— Magnifique, n’est-ce pas ?
— ….
— Ça te laisse sans voix… Eh peut-être vas-tu rester silencieuse pendant longtemps, je…
— Un vini… un vini tout ébouriffé ! Le premier du jardin ! l’interrompt-elle.
— Faut faire un vœu ?
— Euh !… Oui… pourquoi pas !
— J’en ai un ! Fait ! et toi ?
— Pareil ! Le sujet ?
— Quel sujet ?
— De ce que tu veux me dire. Tes doigts n’arrêtent pas de gigoter. J’te connais !
— Eh bien il serait temps de nous marier, Aata
— Tu rigoles ?
— Ai-je l’air de vouloir te faire une sale blague ?
— Pas vraiment. Mais je ne savais pas que ça allait me tomber dessus aussi vite.
— Ah bon ! Je risque d’essuyer un refus ?
— Mais non, moi aussi je m’amuse !
— Bon ! je comprends ! J’aurais dû y mettre les formes !
Filant rapidement au jardin, il revient sans se faire voir, un oiseau-de-paradis dissimulé dans le dos, au creux de ses deux mains croisées. Il approche tout silence, en tapinois. Imperceptiblement, Aata se cale dans sa chaise. Et la surplombant de toute sa hauteur, il lui glisse la fleur aux trois couleurs au creux de la poitrine, tout en douceur. La tête à l’envers, le regard plongeant dans le sien :
— Je suis comme cet oiseau minuscule : j’arrache les fleurs pour une Fleur[2]. Et dans le nid que je construis, s’amoncellent les brins de mes espoirs, comme des rêves. La belle Aata voudra-t-elle accepter de devenir mon oiselle éternelle ?
— Oh là ! comment veux-tu que je refuse ? Excuse-moi ! Je ne sais plus quoi dire… je voulais dire que j’acceptais, si…
— Gagné ! s’amuse-t-il à mimer comme un oiseau sautillant ! Enchanté que tu aies été conquise par mes plumes ! Des conditions ?
— Peu t’importent les étapes que je n’ai pas franchies ? on va se faire ça incognito ? tu es prêt à…
— « Que m’importe, si tu m’aimes », se met-il à chanter à tue-tête, « Je me fous… »
— On va se marier-marier ?
— Oui !
— Avec tout le tintouin officiel ?
— Oui !… enfin, si t’es d’accord
— Tu invites qui ?
— Les amis ! et puis j’en toucherai deux mots à l’Association LGBT Cousins Cousines de Tahiti. Histoire de ne pas trop se faire chahuter
— D’accord
[1] Alizé du Sud-Est
[2] Appellation que se donnent les Raerae dans les îles.
Trois extraits différents de style qui donnent envie de lire le livre.
Ô Jeanne si mes bribes de roman t’allèchent… Aurais-je réussi à faire passer en direct :
-1er extrait) : ma passion pour l’amour que j’ai tenté de sacraliser à travers cette scène érotique, cette connaissance de l’autre à travers les sensations tactiles & charnelles
– 2ème extrait) : le côté sombre en chacun de nous, celui du pouvoir sur l’autre, de la méfiance, de l’agression qui peut mener jusqu’au crime ; nul n’est à l’abri d’un geste de trop, de la violence qui nous habite
– 3ème extrait) : le quidam qui se monte ses propres « bateaux » en voulant prendre sa revanche sur la vie, sur sa petite vie étriquée et qui se lance dans une déclaration, après s’être persuadé qu’il pouvait oser. Et puis là, il ne s’adresse pas à n’importe qui : une Raerae, c’est une transgenre (mtf), quelle que soit l’étape de transformation ; il s’attaque à tous les poncifs moralo-religieux qui courent & sabrent en Polynésie française
<<< ça valait le détour par le "style". Nous sommes tellement multiples qu'il me fallait bien en montrer les facettes…
Surtout, merci de ton commentaire.
Je relis ce soir les trois extraits. La scène érotique est diaphane. C’est le mot qui me vient ce soir. Et le personnage du ou de la raerae tu sais combien je ne peux oublier qu’il est déchiré, assoiffé de reconnaissance et d’amour tandis que les autres le broient le plus souvent. Merci pour ton écriture aux facettes si diverses.,