EXTRAIT N°1
Elle se lave les dents avant de se passer un gant d’eau fraîche sur le visage, sourit béatement en se sentant revivre. Elle sort de la pièce saute un pied sur l’autre, en chantant et en remuant la tête en tous sens. Puis elle tourne le bouton de la radio et une musique très rythmée emplit la pièce. Déchaînée, elle danse de façon tout à fait excentrique.
Herman, complètement hébété la regarde. Il finit de boire sa tasse de café, se lève, éteint la radio et, alors qu’il se tourne vers sa femme pour lui poser des questions, il la voit nue, sur le lit, allongée sur le côté, un genou replié, un bras soutenant sa tête.
—Viens chéri, j’ai envie de faire l’amour. Viens vite mon cœur…
—Putain, qu’est-ce que tu es belle ! J’avais presque oublié !
—Profites en…
Le jeune homme ôte son pyjama et s’allonge sur sa femme qui vient de se mettre sur le dos afin de mieux l’étreindre. Il n’est ni désagréable ni maladroit. Il a simplement cette envie brûlante que tout homme normalement constitué aurait à sa place et à son âge, les hormones en ébullition auprès d’une sublime créature. Il ne s’encombre pas de préliminaire, ce qui arrange Justine qui n’en a cure et surtout qui n’en désire pas. Il la prend avec une infinie douceur alors qu’elle se love tout contre lui, aimante, en suivant ses lents va-et-vient. Hélas, le pauvre garçon a tellement attendu, que ce moment tant espéré jusqu’à être quémandé risque de tourner court. Rêveuse, Justine lui caresse la tête délicatement dans un geste plus maternel qu’amoureux. Elle ne s’investit pas particulièrement même si l’illusion est parfaite. Sans qu’il ne s’en rende compte, il est le seul à être vraiment passionné.
Cela ne fait pas trois minutes qu’il a entrepris son épouse et le voici poussant déjà un gémissement de plaisir avant de s’arrêter de bouger. Deux minutes trente-cinq de pur bonheur, d’extase et bien plus encore !
Avachi sur elle, elle écarte son visage en grimaçant pour se soustraire à son souffle chaud. Herman se hisse alors sur ses mains, et, bras tendus, il prend son allure qui se voudrait la plus séductrice, sourire en coin, et plonge son regard dans celui de sa compagne :
—Alors, … heureuse ?
—C’était divin mon chéri ! Tu es un as de la galipette tu n’imagines même pas à quel point !
—Il ne faut rien exagérer, restons modeste…
Justine l’interrompt en s’extirpant du lit et se lève pour se rendre à la salle de bains. Son mari la regarde déambuler à travers la chambre, pensif :
—T’es quand même bizarre, toi ! Depuis notre mariage j’ai l’impression de me trimbaler avec un robot triste et mélancolique et tout à coup, tu te mets à courir, à sauter, à vouloir faire l’amour et surtout tu souris à nouveau ! Mon Dieu ! Comme ton sourire m’a manqué ma Juju !
De la salle de bains, la jeune mariée hausse la voix pour se faire entendre :
—Herman ! Je t’ai déjà interdit de m’appeler comme ça ! J’aimerais ne pas avoir à y revenir !
—Oui Justine, excuse-moi !
—On va à la plage cet après-midi ? J’aimerais bien faire du ski nautique !
—Mais bien sûr mon ange !
Le couple passe une journée idyllique entre les divers sports nautiques, la plongée sous-marine, le bronzage à la plage. Ils se rendent même au champ de courses pour parier. Les Mauriciens sont très joueurs et les jeunes mariés se laissent prendre dans l’ambiance en criant plus fort que leurs voisins pour encourager leur favori. Il semblerait que pour Justine, cette magnifique journée soit placée sous le signe de la chance. En effet, elle gagne une petite somme rondelette grâce à une mise gagnante placée à sept contre un. Gaie comme un pinson, elle ne cesse de rire, de sautiller comme une collégienne ivre de bonheur. Pour la première fois depuis qu’ils sont arrivés, elle a envie de sortir, de s’amuser, bref, de croquer la vie. Elle est totalement métamorphosée ! Herman est fier de son épouse car il voit l’envie dans le regard des autres. jamais il n’a rencontré une femme mariant aussi bien allègrement, beauté et dynamisme. Il est loin de s’imaginer quel résultat détonnant peut donner un tel mélange !
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EXTRAIT N°2
Elle sort de la pièce en claquant la porte et se rend au rez-de-chaussée. Elle prend ses quartiers dans une des chambres restées disponibles, installe rapidement sa literie, puis s’en va à la cuisine. Elle ouvre les placards nerveusement, les uns après les autres, et très vite elle trouve ce qu’elle est venue chercher. Elle ouvre la bouteille de whisky qu’elle vient de ressusciter et commence par se servir un premier verre. Les larmes coulent silencieusement sur ses joues. Tremblante de tous ses membres, elle le vide et s’en remplit un second :
—Pourquoi ? … Donne-moi la force !
Elle essuie ses larmes, et, alors qu’elle se sert un troisième verre, Herman se présente dans l’encadrement de la porte. Inquiète, Justine recule jusqu’à ce qu’elle bute sur le plan de travail. Elle retrouve une maîtrise totale de ses sens et fait face à son mari, prête à tout :
—Qu’est-ce que tu veux ?
Le ton hargneux de la jeune femme ne le met pas en alerte outre mesure :
—Il faut qu’on parle ma chérie. J’ai commis une faute et j’estime avoir le droit de me défendre, de m’expliquer.
—On en a déjà assez parlé comme ça ! Dégage !
—Je vois, effectivement, que tu n’es pas en état de soutenir un débat ! Tu ne t’arrêteras donc jamais de picoler ?
—J’avais arrêté pauvre abruti ! Je n’avais pas touché à une seule goutte d’alcool depuis notre retour de l’Ile Maurice ! Et toi, pauvre crétin, avec tes manières de porc, tu viens de tout foutre en l’air ! J’ai besoin d’oublier l’ignominie que tu viens de me faire subir ! Je ne t’appartiendrai jamais Herman, tu m’entends ? Jamais ! Jamais je ne serai ta chose, et plus jamais tu ne m’allongeras sur ta couche ! Je ne veux plus sentir tes mains sur moi ! Tu me dégoûtes ! Je ne suis pas ta paillasse !
—Mais moi je veux que tu m’aimes !
—C’est pas comme ça que tu y parviendras ! De toute façon ôte-toi cette idée saugrenue de la tête ! Tu n’as aucune chance ! C’est fini Herman, tu as trahi ta parole. Alors maintenant, dégage et laisse-moi tranquille !
—Tu es ivre ! Il faut te faire soigner ma p’tite !
—Va te faire foutre !
Énervé et sûr de sa force virile, Herman, l’œil brillant, avance d’un pas en direction de sa femme, lorsque tout à coup, il stoppe net. La main de Justine s’est hasardée sur le plan de travail pour s’arrêter sur un couteau d’une taille conséquente avec lequel elle le menace.
—Qu’est-ce que tu comptes faire avec ça ? Tu crois me faire peur pauvre idiote ?
—Fais attention Herman, je ne suis pas ivre et je sais m’en servir !
Amusé, Herman sourit.
—C’est cela, oui ! C’est cela même ! Je tremble de peur, ça ne se voit pas ?
Alors qu’il tente un nouveau pas en avant, Justine lance le couteau qui lui frôle l’oreille avant de se planter dans la porte d’un placard. Cette fois, Herman ne sourit plus. Incrédule, il se retourne, regarde par-dessus son épaule la lame d’acier parfaitement enfoncée dans le bois du meuble. Il paraît soudain inquiet et interrogatif. L’expression de son visage fait place à la colère chassant d’une traite toute ironie. Il refait face à sa femme et, alors qu’il lève la main il reste craintif devant celle-ci et arrête son geste. En effet, jambes écartées, légèrement courbée en avant, Justine agite un autre couteau sous son nez, menaçante, en lui faisant signe de s’’approcher de sa main libre. Cette fois, Herman a peur et recule d’un pas.
—Viens Herman, viens !
Le visage de ce dernier n’exprime plus de la colère, mais de la peur.
—Où as-tu appris à te servir d’un couteau ?
—Ça ne te regarde pas ! Sache que je sais les lancer mais je sais aussi m’en servir pour me défendre !
—Tu sais que tu finiras tes jours en prison si tu me tues ?
—Et alors ? Ne suis-je pas en prison là ? Non, bien sûr, tu ne peux pas comprendre !
—Et bien justement, j’aimerais comprendre !
—Laisse tomber Herman, fiche-moi la paix !
—Justine, si je te demandais d’aller voir un psychiatre, tu irais ?
—Et toi ? Si je te le demandais, tu irais ?
—Mais je n’ai pas besoin d’un psychiatre !
—Ah bon ? Tu me violes et ensuite tu redescends ici pour remettre ça et tu trouves que tu n’as pas besoin de psychiatre !
—Mais tu n’y es pas du tout Justine ! Je suis venu là pour essayer d’établir un dialogue !
—En levant la main sur moi ? Apparemment, c’est raté !
—Et puis arrête de dire que je t’ai violé ! Tu es ma femme, ne l’oublie pas ! Et il n’y a pas de viol entre mari et femme !
—Mufle ! Tu m’as violé en tant que femme, c’est tout ! Tu m’écœures ! Tu dois être content de t’être branlé dans un tas de viande, non ? Nous sommes en France ici ! Et chez nous, le viol conjugal est reconnu depuis 1992 ! C’est toi qui risques la taule pauvre con ! Dis-toi bien que tu n’as aucun droit sur moi Herman ! Et j’entends bien défendre mon intégrité ! Et puis je te signale que nous sommes plus associés que mari et femme ! C’était convenu comme ça !
—D’accord, d’accord. On se calme ! Je te promets de ne plus essayer de te toucher ça te va ?
—Je resterai quand même sur mes gardes ! Tu n’as aucune parole ! De toute façon, avise-toi de recommencer ton numéro une seule fois, et, si je ne t’égorge pas, je te traînerais dans la boue, devant les tribunaux ! Ca fera bien pour les affaires de te retrouver à la une des journaux, non ?
—Ok, ok, j’ai compris. Et pour le psychiatre ? Tu veux bien faire l’effort ?
—Ecoute-moi bien Herman, tu as voulu changer les règles que nous avions tacitement établies alors, d’accord, on va les modifier ! D’abord, je ne veux plus te voir approcher le petit. Ensuite, tu me laisses vivre ma vie à ma façon. Je prends le rez-de-chaussée et toi le premier étage. Voilà. Bien que ta parole n’ait aucune valeur, je m’en contenterai. Mais je t’avertis Herman, si tu enfreins une seule fois nos règles de vie, je te tuerai. Je te jure que je ne plaisante pas ! Enfin, sache que je n’oublierai jamais ce que tu as fait ce soir. Un jour viendra où il faudra que tu passes à la caisse et crois-moi, ce jour-là, tu as intérêt de payer la note sinon ce sera ta famille toute entière qui sera éclaboussée !
—Laisse ma famille en dehors de tout ça, tu veux ?
—Ça ne tient qu’à toi Herman. Moi, tu me connais : ma parole c’est pas du bidon ! Alors ne viens pas pleurer que tu ne savais pas car il sera trop tard ! A part ces dernières petites précisions, je veux bien accéder à ta demande et me laisser analyser par un psychiatre ! Si ça peut te faire plaisir ! Maintenant laisse-moi. Dégage !
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EXTRAIT N°3
Le dessert terminé, Herman se lève, se rend dans le vestibule, se vêt de son imperméable, prend son attaché-case et salue tout le monde en s’excusant de partir si vite. Il dépose un baiser sur le front de son fils, et quand il tente de faire la même chose avec sa femme, celle-ci se détourne. Habitué, Herman n’insiste pas. Les parents de Justine font semblant de n’avoir rien vu et sans trop s’attarder ils s’en vont à leur tour après avoir bu un dernier café en laissant leur petit fils transformer le salon en circuit pour moto.
Après cette journée bien chargée, Augustine se prépare à partir également. Antoine a aimé les petites pâtisseries qu’elle avait préparées à son intention. Même si elle n’est qu’une domestique, elle n’a pas pu s’empêcher à s’attacher à ce gamin pas comme les autres. Il la câline et jamais il ne se permet la moindre incorrection, ce qui est peu courant avec les enfants des milieux huppés. Fière du succès obtenu pour son repas, elle termine de nettoyer la vaste pièce en prenant garde à ne pas se faire écraser :
—Monte Augustine, je t’emmène à la cuisine !
—Mais enfin Antoine, ça va pas !?
—Allez, viens, on va bien rigoler !
—Non, laisse-moi finir mon travail je suis fatiguée, je dois rentrer chez moi maintenant !
—Pourquoi tu vis pas avec nous ?
—Parce que je préfère avoir mon chez moi…
Le petit se lève de son engin et lui tend les bras. La bonne se baisse et ils s’étreignent silencieusement un court instant. Puis l’enfant se détache et remonte sur son engin. Claudia et Justine, assises dans le canapé, ont assisté à l’émouvante scène :
—Ton gosse est fabuleux, Juju !
—Je sais, il est extraordinaire, c’est la plus belle chose que la vie m’ait donnée !
Claudia allume une cigarette alors que la bonne s’en va dans la cuisine pour en ressortir presque aussitôt :
—Ne vous faites pas de souci Madame, le lave-vaisselle est en route.
—Merci Augustine, vous pouvez nous laisser à présent. Ne vous préoccupez ni des volets ni de l’alarme, laissez comme ça, je m’en chargerai.
—Bien madame. Au revoir Madame Claudia !
Antoine arrive sur son bolide pour recevoir un dernier bisou de la bonne. Cette dernière prend congé et, dès que la porte se referme, Justine se rapproche de la fenêtre. Elle attend que les feux du scooter d’Augustine disparaissent de la propriété. Quand c’est le cas, elle appelle son fils.
—Chéri, viens vers maman.
Toinet descend de sa moto électrique et court dans les bras de sa mère.
—Tu te souviens du secret que je t’ai confié tout à l’heure ?
—Oui maman.
—Tu sais ce que tu dois faire ?
—Oui maman.
—Alors fais-le maintenant, dépêche-toi.
Assise dans le canapé, Claudia assiste à la scène, sans rien dire. Le petit garçon s’éclipse dans la chambre de sa mère. Pendant ce temps, Justine se rend dans l’entrée et actionne trois fois de suite l’interrupteur éclairant la lanterne extérieure. Son fils la rejoint avec un sac en toile. Les phares d’une voiture aux vitres teintées illuminent la propriété, et s’arrêtent devant le perron. Justine ouvre la porte et descend les marches pour atteindre le véhicule. La portière arrière s’ouvre et son fils s’engouffre à l’intérieur :
—Je t’aime maman !
—Moi aussi mon bonhomme ! Sois sage, hein ?
—Oui maman.
Ils s’envoient un baiser du bout des doigts et Justine claque la portière. La voiture démarre aussitôt sous les crissements du gravier blanc de l’allée et se perd dans la nuit.